Rendez-vous le 11 janvier à 9h03 sur le parking de Chambéry, avec Lui
C’est aujourd’hui notre rendez-vous.
J’ai mal dormi et je me lève tôt avec un nœud dans le ventre.
L’attente a été tellement longue… et pour quoi ? Pour une stupide journée au ski ! Comme si j’avais besoin d’un rendez-vous planifié trois mois à l’avance pour prendre du bon temps, une journée…Alors que je le savais, même si je ne suis pas native de ses montagnes, que la neige serait là plus tôt !
Il m’a donné rendez-vous très précisément aujourd’hui, le 11 janvier à 9h03 sur le parking de Chambéry, il y a trois mois déjà. Il a associé cette invitation pour une journée de ski à une mise en quarantaine de nos communications : même pas un tout petit contact par mail ou sms, rien ! Alors que nous ne nous connaissions depuis à peine plus de temps…
Il a lancé ça comme un défi, une provocation, le terrain sur lequel nous nous retrouvions pour nos joutes verbales. Et, moi, comme aux précédentes, j’ai répondu légèrement, en souriant même : « chiche ! ».
Et, je me suis engouffrée, tête baissée dans ce challenge… un tunnel qui m’a paru sans issue. J’ai été vraiment idiote…
Je n’ai pu m’empêcher de relever le défi, c’était plus fort que moi. Et pourtant, je n’avais pas envie de mettre un terme à nos échanges. Dès que le silence s’est fait, j’ai su que c’était une bêtise…
Le premier jour, j’ai repris mon souffle après ces quelques mois d’échanges guerriers, drôles, intenses, troublants, excitants, amusants, complices,… et quelques rares rencontres professionnelles, en famille, en tête-à-tête qui me semblaient assez irréelles, superficielles même, à côté de la connivence de nos conversations électroniques.
Mais, j’étais décidée, assurée même. Il céderait avant moi ou l’un de nous deux enverrait le mail « t’es trop c.., va te faire f… » et on en finirait. Mais, comme depuis le début, j’attends la fin en me demandant ce qu’elle sera… Est-ce qu’il va m’insulter comme une pouffiasse, est-ce qu’il va diversifier ses intérêts, a-t-il eu ce qu’il voulait ou ai-je été tellement ch… et agressive et il abandonnera la partie ?
Alors, la quarantaine, moi, j’ai trouvé que c’était une belle épreuve à notre relation… amicale, sentimentale ou… un truc à part. Nous n’avions pas su la qualifier. La seule certitude était que malgré nos âges matures, nos expériences riches et nos humours acides, nous n’avions pas intégré le désir dans nos échanges. Nous avions pourtant souvent ri, par autodérision, à nos conversations parfois limites « dragueur-blaireau » ou « rencontre-meetic », mais tout était prétexte à rire ou sourire, faire enrager l’autre et rire encore.
Voilà. Le premier jour, comme un dimanche, un jour de repos, une sieste bercée par quelques bons souvenirs…
Dès le deuxième jour de ce calvaire, l’affaire s’est compliquée. Le souffle ! C’est à ce moment-là qu’avec cette enclume qui me pressait la poitrine, j’ai commencé à le chercher. Je prenais de grandes inspirations pour combler le vide laissé par l’absence de message. Je me suis agacée devant mon impatience à consulter ma messagerie par tous les moyens en ma possession : ordinateurs au travail, à la maison, le téléphone,… je suis restée connectée tous les jours, presque 24h/24.
Dès le début, j’ai ressenti un grand vide. Un très grand vide. Un gouffre même je crois. Je partais travailler avec la sensation que mes pieds ne touchaient plus le sol, que j’avançais sans vraiment diriger, comme si j’avais sauté en parachute, mais alors de très très haut. De tellement haut que la descente me paraissait s’allonger au fur et à mesure que j’égrenais les journées jusqu’à l’échéance.
Peu à peu, la vie et le quotidien a repris le dessus pour atténuer l’espèce de douleur que certains aurait appelé « manque », mais pas moi. Non, pas du manque ! Il aurait fallu que je sois dépendante pour ça. Ce n’était pas ça.
Après ces longues journées d’auto-conviction, le retour du serrement d’estomac à trois jours de cette date que je n’étais pas parvenue à oublier m’a fait douter. Mais, un instant seulement !
Je savais qu’il était normal d’appréhender des retrouvailles et encore, si elles avaient lieu !
Avec sa provocation et son arrogance, je le croyais capable de me poser un lapin. Peut-être même qu’il se planquerait pas loin du rendez-vous, juste pour voir si j’y avais cru et filer en douce et en rigolant…
Mais bon. De la même façon que j’avais dit « chiche » il y a trois mois, je me le répétais encore ce matin : « oui, chiche ! ». Je serai là. J’ai tenu bon, cédé à aucune de mes tentations de retrouver le contact ou partager un truc qui nous aurait fait sourire ensemble. Rien ! J’ai été exemplaire. Et, m… il l’a été aussi !
Si ça se trouve, ça l’a bien arrangé que je lui fiche la paix (enfin !), avec mes gamineries de petite fille attardée. Il aura été trop content d’avoir la paix et ne viendra pas… Je serais déçue de découvrir, au contraire de ce que j’ai cru, qu’il n’avait pas pris ce jeu au sérieux. S’amuser, c’est très sérieux et très important. Cela nous est indispensable et nous jouions dans la même cour…
Je me souviens…
Hier soir, j’ai contrôlé les distances et le trajet sur Mappy. Au moins ça, ce ne sera pas un souci : 1h16. Je pars 2 heures avant et c’est moi qui l’attendrai ! J’avais demandé à mes parents de me décharger, de libérer ce matin pour m’éviter le départ just-in-time, j’avais besoin d’être sûre de pouvoir être au rendez-vous. Si j’avais pu, je m’y serais rendue la veille pour contrôler le lieu et camper à une distance raisonnable pour être à l’heure.
Alors, à 7 heures, je pars, nerveuse mais excitée. La route ? Facile ! C’est de l’autoroute presque tout du long.
C’est en arrivant à quelques kilomètres de l’arrivée que tout s’est conjugué pour m’empêcher de m’y rendre. On parle d’actes manqués, mais c’est exactement ça ! Quand l’envie me stimule, le devoir me retient… Et, on dirait que j’attire les embûches…
A l’entrée de la ville, la circulation est dense. Je me raisonne en me disant que tout va bien, j’ai pris de la marge, je serai à l’heure. Je suis certaine que lui, ce sera à l’heure ou pas du tout. Alors, j’y tiens. J’ai peur de le rater…
Les bouchons me coincent. Il faut que je trouve le moyen de sortir de là, ça n’avance pas et ils vont tous me faire arriver en retard ! Mais, je ne connais pas la ville, sortir des grands axes, c’est risqué… mais rester là, c’est perdu d’avance.
Hors de question que j’abandonne la partie ! J’ai failli laisser mes tripes sans son challenge ridicule, alors, je tiens à lui faire payer avec la blague la plus vaseuse que ma réserve et trois mois de réclusion me permettra de sortir.
Je repère un boulevard sur la droite. Je m’y engouffre et offre un instant de répit à ma nervosité. C’est bon, je ne suis plus loin et il est 8h47. Je vais l’étonner par ma ponctualité ! Facile, cela roule maintenant. Mon sens de l’orientation me dit que pour récupérer l’axe, il faut que je prenne deux fois à gauche et hop, à moi le bas des pistes !
Je prends à gauche une fois, mais dans la longueur de cette rue, pas moyen de trouver une issue vers la gauche ! Je continue mais la route tourne à droite, elle est longue, elle n’en finit pas. Je commence à sentir une forte pression et quelques gouttes de sueur en pressentant l’issue fatale, mais récurrente chez moi… Je suis crispée sur le volant. J’ai trop chaud, j’allume la climatisation, j’ouvre les fenêtres aussi pour que l’effet soit plus rapide… Mais, c’est trop tard. Je panique ! Je vais être en retard.
Je prends à droite, tant pis, il faut que je sorte de cette rue sans fin. C’est une ruelle toute étroite en sens unique… Je ne le sens pas… Je m’arrête à hauteur d’un homme âgé qui me fait répéter ma demande trois fois avant de m’indiquer mollement la direction à prendre en m’assurant que je suis à quelques rues à peine.
Je regarde l’heure 9h02, ce n’est pas possible, c’est trop tard !
J’ai l’intérieur du ventre qui s’est liquéfié en regardant l’horloge. Allez, vas-y, roule ! Elle avance cette montre... Tant pis, même en retard, vas-y ! J’y vais.
Je suis dans tous mes états et j’appréhende autant de le retrouver que d’arriver dans cet état de nervosité, suintante comme si je venais de faire le marathon. En même temps, pour le glamour, je n’ai jamais été très forte non plus… Alors, bon. C’est moi. Il me trouvera comme je suis, hélas. Et si j’arrive un jour…
La route est longue… Je distingue enfin un repère que m’a donné l’homme tout à l’heure. J’ai la gorge nouée. J’approche mais il est déjà 9h08…
Je suis au bord des larmes quand j’arrive à l’entrée de ce parking où nous nous étions donné rendez-vous. J’ai ralenti. Il est 9h10, et autant dire, en retard. Mais, je garde un espoir…
Mes mains tremblent sur le volant. Je serre les doigts mais ce sont mes bras qui prennent le relais. En faisant le tour du parking, je comprends que je l’ai raté ou qu’il n’est pas venu…
J’arrête la voiture et m’en extirpe. Je tremble et mes jambes ont du mal à supporter mon poids. De rage, mon pied part cogner le pneu de ma roue avant. Je recommence trois fois encore avant de m’effondrer en pleurs, là, sur ce parking de skieurs heureux avec mon pot-de-yaourt de voiture qui a chauffé autant que moi…
Je pleure à gros sanglots. Je me décharge de cette nervosité du trajet, de la rage d’avoir échoué, de la déception de ne pas le trouver,… Et je pleure encore pour cette attente inutile, pour ce stupide tempérament qui me pousse à faire des trucs de dingue pour satisfaire une envie, une curiosité.
C’est comme si j’avais abandonné, lâché notre partie. Pour moi, c’est « game over », fini. Je sais que le retour me prépare un deuil difficile.
Je m’octroie un souffle en allant faire quelques pas solitaires dans la neige et je reprends la route en sens inverse.
**********
Va-t-elle venir ? Il est 8h59, je suis arrivé avec 4 minutes d’avance à ce rendez-vous fixé 3 mois à l’avance. C’était un défi, un jeu un peu bête et je suis là sur ce parking à attendre.
3 mois … une éternité !
C’était un pari de couper les liens, de reprendre un souffle, de voir comment l’un va vivre sans l’autre. Ce n’était pas de l’amour entre nous, juste une amitié qui dérapait mais dans un sens que nul ne savait. L’attirance de l’amitié était présente, une attirance même plus globale, elle englobait les familles qui quant à elles avaient du mal à suivre dans cette complicité finalement exclusive, malgré les apparences.
Je le sens, elle ne viendra pas, 9h00 vient de passer. Chaque seconde semble être à bout de course, cela raisonne comme l’heure du verdict.
La coupure avait entrainé une rupture de rythme, rien d’un oubli.
Au début c’était la sensation de l’arrêt d’une drogue, du paquet de cigarettes que vous jetez et que vous vous promettez de ne plus toucher jusqu’à une échéance, alors on imagine de la crispation, mais en fait c’est plus que ça : on scrute le défilement de son outlook sans voir de nouveaux messages arriver. On tente d’oublier, de faire autre chose, mais tout se passe avec … mais sans !
La tentation m’avait rongé de faire signe, c’était tellement évident, facile. Et puis au dernier moment, 1000 fois ma main s’était rétractée, parfois même ma direction.
Alors j’étais seul là, dans ma voiture, déçue et une minute de plus vient de passer. Une sensation de lourdeur, il neige dehors et nous sommes le 11 janvier. Je m’étais fait une joie imaginaire de l’emmener au ski, tout était prêt, tout nous attendait, du moins tout m’attendait comme d’habitude en haut. Rien de prémédité, ni d’organisé, juste comme d’habitude … quand je monte seul.
Mais aujourd’hui, rien n’est comme d’habitude et rien ne semble comme imaginé. Je passe de morceaux en morceaux de musique, tout me crispe.
La frustration de n’être plus libre, car bloqué dans cet engrenage voulu, consenti, partagé et finalement pas agréable.
La libération au fur et à mesure des jours et des nuits n’a pas eu lieu, l’obsession par contre reste, où la perspective des retrouvailles n’est parfois plus envisagée, elle est un point, une marque sur un agenda et qui au fur et à mesure s’amenuise ou s’agrandit en fonction de l’humeur.
9h02 : je me rappelle de notre première rencontre, de notre premier tutoiement, de notre première photo, de nos premiers partages, leurs souvenirs m’arrachent un souvenir. Je le regarde dans mon rétroviseur, non je me rétracte dans l’appréciation, il a l’air niais, un peu connivent avec mon spleen qui tente de se raccrocher à toutes les branches de l’idée du rendez-vous.
L’obligation de ne pas casser cette idée de cet intermède en tentant d’oublier le lien a été une torture, plus qu’un confort.
9h03 vient de tomber tel un couperet : elle n’est pas là. Que s’est il passé dans sa tête pour ne pas être là en face ? Je l’ignore, je jette ma tête en arrière et pousse un râle inaudible, mais il existe et montre ma déception.
9h05, je m’invente des prétextes, des problèmes d’embouteillage, des décalages horaires, des horloges en retard, des grèves imaginaires et des téléphones qui ne marchent plus avec des réseaux encombrés.
Je gagne avec tout mon tas de mauvaises excuses 2 minutes d’attente supplémentaire, juste retarder encore.
9h06 : je suis lâche, je ne vois pas la réalité en face, je ne veux pas la voir, tout m’échappe comme ces trois derniers mois qui m’ont paru être un cumul de journées sans fin, de minutes qui trainaient, de secondes qui étaient en retard.
L’espoir s’amenuise, je fais mine de chercher la clef, de faire le tour de la voiture. Je fouille le coffre à la recherche d’un instant de plus.
Je me sens diaboliquement idiot debout autour, j’en ris nerveusement. A me répéter que cette histoire n’avait pas de sens, la mise à l’épreuve tout aussi insensée.
Je remonte dans ma voiture. 9h10, je pars …
********
J’arrive sur le parking où ce type avec lequel j’avais eu quelques échanges intéressants, amusants m’avait donné rendez-vous il y a trois mois. Oui, c’est vrai, j’ai trouvé aussi que c’était un lointain rendez-vous. J’ai pensé à une tentative de me faire prendre le large mais j’avais envie d’être là, juste pour voir si l’intérêt que nos échanges avaient fait naître pouvait créer autre chose.
Cette façon de donner un rendez-vous si précis dans trois mois en nous imposant un silence mutuel m’intriguait quand même…
Nous avions fait connaissance par mail, dans des échanges professionnels, au départ, et parfois une information plus privée, teintée de provocation et d’humour, passait avec. J’avais trouvé étrange le glissement de ton et de contenu qu’avaient pris nos échanges en quelques mois seulement, sans se connaître dans nos environnements respectifs.
J’avais conscience d’être une de ses correspondantes seulement, mais je ne cherchais pas d’exclusivité. Nous avions chacun nos vies mais ce partage de confidences que sont devenues nos communications nous a rendu connivents, presque malgré nous. La relation n’avait aucun enjeu, nous étions bien dans nos existences, installés dans un confort satisfaisant. Nous ne cherchions pas la séduction ou la relation éphémère mais nous avons eu besoin de confronter nos expériences, comparer nos tempéraments, raconter nos petites histoires, nos quotidiens, nos envies laissées en friche,… peu à peu, juste comme de simples amis. Il m’a rapidement semblé que l’intensité de nos échanges nous avait fait gagner cinq années de déjeuner, dîner, sorties, promenades et autres activités propices aux échanges.
Nous étions bien, mais je craignais de me tromper sur mon ressenti et de l’induire en erreur sur mes intentions. Nous avions des rapports professionnels et je craignais le quiproquo qui nous aurait tous les deux mis mal-à-l’aise.
Mais, j’avais envie qu’on se voit au moins une fois. J’avais besoin d’une perception visuelle pour mieux appréhender le personnage virtuel de nos échanges, pour mesure la confiance que je pouvais lui accorder. Et, il a lancé cette espèce de challenge : « rendez-vous le 11 janvier à 9h03 sur le parking de Chambéry pour une journée de ski. D’ici là, on ne se parle plus, ni mail, ni sms ».
J’ai failli prendre le clavier pour lui demander s’il voulait aussi me bâillonner. Mais en fait, je n’ai pas répondu. Le silence serait ma réponse et le top départ de cette quarantaine imposée.
Et, lui et moi, avons respecté ce pacte conclu légèrement. La vie a repris son cours et j’aurais presque oublié…
Mais, en prenant mon agenda sur cette semaine, je retrouve le rendez-vous que j’avais noté, amusée, tel qu’il me l’avait proposé. Alors, je cale un autre rendez-vous professionnel dans le coin sur l’après-midi et garde disponible la matinée. Il avait dit «journée de ski », mais j’ai du travail. Alors, une demi-journée, ce sera déjà pas mal s’il honore notre rendez-vous.
Il est 9heures. Je ne suis pas en tenue de ski, la seule à ne pas l’être sur ce parking d’ailleurs, mais s’il ne vient pas je ferai un tour à la fnac pour prendre le CD de ce truc génial que j’ai entendu à la radio plusieurs fois. J’ai ma tenue dans le coffre si jamais il se décide à arriver.
Voilà, il est 9h03. Je ne vois personne, ni sa voiture, ni sa silhouette que je n’ai aperçue qu’une ou deux fois. Je n’ai pas envie d’attendre trois heures pour rien alors j’envoie un sms :« Tu es où sur le parking, je ne te vois pas ! A moins que tu ne sois pas là ! »
Je lui laisse le temps de répondre. S’il est là, son téléphone devrait être allumé et à portée de main. S’il est resté dormir chez lui, tant pis. Je m’en irai.
Au bout de 2 minutes, je m’impatiente déjà… Allez, je lui laisse jusqu’à 10 et je m’en vais.
9h10, je pense à la couverture de ce CD que je vais dénicher à la fnac et j’anticipe sur le plaisir que je vais avoir à l’écouter.
Il n’est pas venu, je voulais juste voir, mais pas lui. Tant pis.
*******
Le SMS que je venais de recevoir venait de me rappeler que je l’avais oublié …
« Tu es où sur le parking, je ne te vois pas ! A moins que tu ne sois pas là ! »
C’était une histoire de filles, un truc d’été où on s’est rencontré, on était un peu coincé chacun par sa famille, on s’est probablement désiré mais je n’ai pas trouvé mieux que mettre un rendez-vous un peu lointain avec une mise en quarantaine quelques temps après, car c’était une histoire qui devenait un peu longuette.
C’était un truc dont les filles étaient friandes et elle est partie dans la quarantaine aussi vite que je l’avais connu.
J’étais passé à autre chose, à d’autres histoires, d’autres rencontres, moins compliquées et moins platoniques. Ce serait de vous mentir si la fin ne m’avait pas fait sourire a posteriori de manière épisodique, mais parti en fumée.
J’ai hésité pour répondre dans la typologie du mensonge, car il était difficile de lui dire la vérité, même si je n’étais pas amené à la revoir, je n’en avais ni l’envie, ni l’espoir de la conquérir : j’hésitais entre la non-réponse, ou les prétextes du type « tu n’as pas eu mon sms » ou un affreux déplacement professionnel ou la perte d’un téléphone. Un peu classique mais notre histoire avait été banal, et puis je ne lui devais rien, on s’était plu, mais rien d’excessif non plus !
Ce jour là pourtant je n’étais pas loin, j’étais parti skier, j’étais en train d’enfiler mes gants en bas des remontées mécaniques et j’avais exclu d’emblée l’idée de lui dire de monter ou d’aller la chercher. J’aurais pu facilement lui dire que j’avais 30 minutes de retard.
Mais non, je n’en avais pas envie, la poudreuse me tendant les bras, il avait neigé plus de 45 cm la nuit d’avant, celle du 10 janvier et j’étais super excité d’aller faire des traces. Cela m’avait empêché d’en dormir la nuit en pensant à une journée de rides à fond, sans personne.
Et elle qui re-débarquait comme ça ! Ah les filles … Elles sont toujours là quand on n’en veut plus !
Je n’ai rien fait, je suis monté sur le télésiège, j’ai éteint mon portable pour ne pas être dérangé sur cette journée qui s’annonçait radieuse.
Hop effacé, une deuxième fois …
*******
Je me suis surpris à caresser son visage sur sa photo que je gardais sur moi et j’ai compris qu’au bout de quelques heures elle me manquerait par son absence.
C’est le visage de l’amour que je regarde avec émotion et une peine envahissante, un chemin de croix que nous nous étions imposés et qui au fil des jours me terrassait. Depuis, j’ai resserré plusieurs fois un cran de ma ceinture, mes joues se sont creusées, le sommeil m’échappe, la date butoir m’est devenue une obsession, je me surprends à mettre des gadgets de compte à rebours de partout sur mes écrans d’ordinateur.
Le temps est une épreuve.
Sans penser aux moments qui suivront ces éventuelles retrouvailles, je me surprends sans cesse à me projeter au 11 janvier à 9h03, notre rendez-vous fixé par jeu, par défi ultime, une sorte de mise à l’épreuve pour savoir où nous étions de notre relation platonique, connaitre sa teneur et sa saveur, envisager une suite sereine ou une fin qui me parait parfois inéluctable.
Il me manque l’odeur de son parfum enivrant, le son de son rire, ses mots perfides et ses quelques mails qui égayaient mes journées.
Je me suis raccroché à des souvenirs partagés, à des moments à deux ou à d’autres à plusieurs où j’avais l’impression que nous étions, malgré eux, seuls aussi.
J’ai ressuscité d’autres images enfouies, car j’avais besoin de compenser ce manque, elles étaient gaies, rarement tristes malgré le contexte du rendez-vous hypothétique : le passage au tutoiement, le partage des échalotes, la double écriture, le putt qui est rentré de si loin et qui a valu une embrassade spontanée, l’arrivée en face du Mont-Blanc, les rires qui raisonnent…
J’en ai mal à la tête d’avoir crié son prénom, de l’avoir fait revivre dans ces maigres moments où je l’ai eu pour moi.
Savoir ce qu’elle pensait, savoir si elle serait là étaient mon leitmotiv redondant.
Je l’ai retrouvé dans mes souvenirs dans des circonstances et pelages différents : parfois femme d’affaires, parfois femme-maitresse, parfois femme-maman, difficile avec recul de savoir laquelle m’émeut le plus ou m’attire d’avantage. Trois femmes en une seule. Je l’aimais dans tous ses rôles.
Ce matin encore, à mon réveil, je suis sûr d’avoir pensé à elle, mais je ne cherche pas à m’éviter de souvenir, je le fais perdurer, je le cultive, il me supporte dans mes interminables journées, qui me rapprochent de notre verdict final.
De ces cent jours, je l’ai emmené dans mon cœur dans toutes mes escapades, tous mes voyages, j’ai recherché dans tous les écrits que j’ai gardé précieusement les raisons qui feront qu’elle sera là à notre rendez-vous.
Ou qu’elle ne viendra pas.
Il m’est difficile d’imaginer cette fin sans la revoir, au moins une fois, juste une fois au moins. C’est pour cette raison que je serre le poing et m’en fait une raison de patienter et de ne pas la contacter par avance afin de ne pas briser la chaine de notre histoire.
Je suis arrivé en avance, j’ai guetté son arrivée, sa voiture est apparue comme dans un nuage, elle flottait à ma rencontre.
Tout mon cœur état en émoi, je n’avais plus de voix, je ne savais plus si j’aurais la force de la regarder en face, je l’avais tant désirée.
Je ne savais pas quelle serait la teneur du rendez-vous, mais j’étais heureux ! Tout avait été néanmoins trop long, mon cœur venait de rebattre, lui qui s’était arrêté trois mois avant.
J’ai baissé les yeux, j’ai voulu sentir son arrivée et elle était là, en face : Elle riait avec son air moqueur …
*******
Nous ne nous connaissions que depuis quelques mois, mais nous avions bien accroché. Je ne sais pas bien comment la définir, mais nous avions une relation simple, facile, amusante, sans drague malgré l’opposition de nos natures.
Alors, un jour, il m’a lancé cette invitation à une journée détente planifiée à trois mois en l’assortissant d’un blackout total de communication. Il m’a jeté ça par mail, comme un défi au plaisir de nos échanges et de nos rencontres sporadiques, sans aucun tête-à-tête. La démarche lui allait bien et j’ai souri en répondant « OK ». Peu d’hésitation dans ma réponse… J’avais fini par lui accorder une certaine confiance.
J’ai bloqué la journée dans mon agenda pour la libérer de tout rendez-vous et j’ai respecté la consigne, par jeu : plus un mot, plus un signe de vie de ma part.
Légèrement, j’ai commencé à attendre. J’ai retrouvé un peu de souffle, de la concentration sur d’autres détails de l’existence et repris le cour de ma vie telle qu’il était avant, sans lui, sans l’avoir connu.
Ne plus recevoir ses messages, ses blagues, ni le croiser dans aucun de nos rendez-vous professionnels m’a manqué, c’est certain. Il avait donné un double intérêt à ces événements qui ponctuaient mon quotidien et je me suis surprise, plus d’une fois, à consulter ma messagerie avec impatience dans l’espoir d’un signe.
Et, pourtant, ce challenge me plaisait, juste pour voir si l’espèce de connivence que nous nous étions trouvée tiendrait l’épreuve. J’ai été un peu déçue mais enchantée aussi de réussir à résister à l’envie d’échanger une bonne blague ou de partager un sourire.
Il avait, lui aussi, maintenu le cap, honoré le défi et je n’avais vraiment eu aucune nouvelles pendant ces 100 dernières journées.
J’aurais voulu oublier ce rendez-vous en me persuadant qu’il avait fait cette offre, dans le ton de nos échanges, mais juste pour mettre un terme à cette relation chaste mais troublante, accaparante. Mais, j’avais envie de croire que nous nous amusions encore tous les deux de cette épreuve et qu’il serait au rendez-vous ce 11 janvier, sur le parking de Chambéry à 9h03…
La veille, je prépare mes affaires de ski, charge le coffre et contrôle mon trajet. Tout est organisé et j’ai l’espoir que ma nervosité me laissera un peu de sommeil avant cette journée qui devrait être un peu sportive, je ne skie pas souvent. Et, si je le trouve, je ne veux pas le décevoir.
J’espère qu’il sera simplement là.
Ce soir, tout me revient en mémoire…
Ces petits instants éphémères que nous avons partagé avec des sourires sincères et intimidés, cette complicité qui s’est trouvée facilement, la répartie avec laquelle il m’a vraiment fait rire parfois en partant au combat comme un Don Quichotte, ces anecdotes qu’il m’a rapporté, soulignant nos différences, cette sensation parfois de partager quelque chose d’unique, seuls au milieu des autres,…
Je suis nostalgique. Tout ça, ça m’a vraiment manqué. Ce n’est pas vraiment lui qui m’a manqué me semble-t-il. Pas lui, la personne que j’ai finalement peu croisée, que j’ai à peine regardée par crainte d’être séduite, que je n’ai jamais touchée ou frôlée par peur de découvrir un désir,… Je crois que ce sont vraiment nos moments partagés qui ont laissé ce grand vide dans ma vie depuis trois mois.
J’ai envie de le retrouver, mais je crains aussi que cette absence de contact nous ait fait perdre cette complicité, cette facilité à se voir comme deux vieux copains de classe, « deux copains de tranchée » comme nous nous étions amusés à dire tant nos échanges passait par une lutte de mots et de formules verbales…
Au matin, j’ai peu dormi mais je m’y attendais, ce n’est pas grave. Je sais que l’excitation de ce rendez-vous vaincra le manque de sommeil. Je me lève tôt et part sereinement, presque confiante. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis presque certaine qu’il sera là et je souris seule au volant sur la route qui me ramène vers lui.
J’ai envie de le revoir et j’espère que lui aussi.
En arrivant à proximité, je sens malgré tout une angoisse me saisir la poitrine. Je ralentis, je serai à l’heure. Et, j’ouvre ma fenêtre pour me laisser anesthésier par ce froid de janvier et savourer l’ambiance neige-ski de Chambéry.
A l’entrée du parking, j’aperçois sa voiture. Il est là !
Il m’attend comme s’il était évident que nous serions là tous les deux et il sourit en me regardant arriver.
Au plaisir que je ressens à l’apercevoir, je réalise qu’il m’a vraiment manqué et que pendant trois mois, j’ai souhaité qu’on se retrouve.
Je suis gauche, maladroite en sortant de ma voiture. Je manque de tomber engoncée dans ma tenue de ski, mais spontanément je retrouve le ton moqueur de nos échanges.
Je sais maintenant que nous pourrons faire durer nos plaisirs.